Point de vue

L’augmentation des coûts de l’énergie signe-t-elle la fin de la piscine publique ?

L’énergie constitue le 2e poste de dépenses d’une piscine publique, derrière les salaires. L’inflation de l’énergie met à mal les comptes de ces équipements déjà structurellement déficitaires, et fragilisés par l’épidémie de Covid-19. Cela conduit les collectivités à adopter en urgence des mesures d’adaptation, allant jusqu’à la fermeture des établissements, sans que les questions stratégiques soient actualisées.

Crédit : Etamine
Crédit : Etamine

Une piscine publique – pour qui et pour quoi ?

Le premier service public assuré par nos piscines est le « droit à savoir nager » pour tous, en particulier les plus jeunes, entrant dans le cadre des apprentissages scolaires.

Sur ce besoin initial se sont greffées des pratiques complémentaires : sport en club, pratiques sportives individuelles, puis usages de détente et de bien-être (bassins loisirs, bassins nordiques, jeux d’eau, toboggans, saunas, hammams, jacuzzis…).

C’est ainsi que les piscines publiques sont devenues progressivement des équipements de plus grande ampleur, aux coûts d’exploitation en

augmentation, pour des usages dont le caractère de « service public » peut être questionné.

Cette analyse sur les usages, en vue de leur rationalisation, est en effet le premier levier de sobriété sur ces équipements. Il s’agit d’intensifier l’occupation des équipements « de base » sur les plages horaires les plus étendues possibles, pour parvenir au plus faible ratio « consommations / service rendu »… quitte à renoncer à maintenir les usages les plus énergivores et/ou profitant au moins grand nombre.

La réduction des consommations d’énergie – quels enjeux ? 

Ces derniers mois ont été riches en annonces « chocs » de la part des gestionnaires de piscine : réduction de la température de l’eau, réduction des plages horaires d’utilisation, voire arrêt du chauffage associé à une combinaison de natation obligatoire pour les nageurs en bassin nordique.

Ces dispositions impactent négativement les utilisateurs, qui auront tendance à se reporter vers d'autres équipements. D'un point de vue économique, la baisse des charges sera contrebalancée par une baisse des recettes. Surtout, ces actions curatives n'abordent pas la problématique de manière globale.

En effet, les piscines consomment de grandes quantités de chaleur et d'électricité en raison de trois impératifs :

  • Assurer une eau de baignade saine et confortable ;
  • Assurer une qualité d’air irréprochable et éliminer les chloramines de l’air
  • Assurer des conditions hygrométriques confortables et permettant la pérennité du bâtiment.

La stratégie pour la réduction des consommations d’énergie dans une piscine existante passe alors par  :

  • une très bonne hygiène des baigneurs
  • une très bonne gestion de l’épuration de l’eau pour diminuer les traitements au chlore et les besoins de renouvellement d’eau et d’air neuf.
  • l’optimisation de la régulation des systèmes techniques pour réduire les consommations d’électricité et minimiser les rejets de chaleur fatale.
  • L'optimisation des températures de consignes, et notamment la réduction de l’écart entre température d’eau et température d’air, comme le montre une étude récemment conduite par Étamine pour le compte d'Engie-Solutions.

Les bassins nordiques (bassins extérieurs chauffés toute l'année) présentent l'avantage d'éviter les consommations liées au traitement d'air, mais sont peu adaptés à certains usages (apprentissage notamment) et nécessitent des besoins de chaleur très importants. Rapportés à l'usage, ils ne présentent pas un meilleur bilan qu'un bassin intérieur, contrairement à l'affirmation d'un article récent de Ouest-France.

Un contexte récent ayant favorisé les augmentations de consommations

Deux évènements récents ont par ailleurs favorisé l’augmentation des consommations d’énergie dans les piscines :

  • Lors de la crise sanitaire, les consignes des Agences Régionales de

Santé (ARS) ont porté sur le fait de limiter le recyclage d’air et augmenter l’apport d’air neuf pour limiter le risque de recirculation du virus. Dans certains équipements, le fonctionnement en tout air neuf a été forcé, et est toujours en vigueur, ce qui peut induire des surconsommations de l’ordre de 60% sur le poste chauffage.

  • Depuis le 1er janvier 2022, une valeur guide sur les chlorures est

fixée à 250 mg/l. Au-delà de ce seuil, la seule action possible pour l’exploitant est de vidanger une partie de l’eau de ses bassins pour diluer le taux de chlorures. Dans un courrier, la société CIFEC alerte sur cette nouvelle réglementation qui va à l’encontre du décret EcoEnergie Tertiaire et ne présente pas de justification suffisante (aucun impact délétère direct sur la santé des baigneurs).

Jauger l’équilibre bénéfice-risque de ces deux dispositions semble ainsi, à l’heure de la crise énergétique, un préalable indispensable à l’adoption de mesures impactant le service rendu aux utilisateurs.

En synthèse

Il est indispensable de prendre de la hauteur et acquérir une vision globale de la problématique, avec projection vers l’avenir et décloisonnement de ces réflexions par rapport aux enjeux globaux :

  • la remise en question du modèle de la piscine publique est structurelle, du fait de sa trop grande dépendance actuelle aux énergies fossiles, qui seront amenées à décroitre pour tenir nos engagements climatiques et pour des raisons de tension d’approvisionnement ;
  • La recherche systématique d’amélioration de l’efficacité énergétique et de l’approvisionnement ENR et bas carbone est indispensable, mais pas suffisante : l’évolution du modèle de la piscine publique doit être réfléchie également en termes de sobriété, ce qui implique d’établir et hiérarchiser les fonctions et services attendus d’un tel équipement et de renoncer aux fonctions présentant un rapport service rendu / coût énergétique insuffisant.
  • Enfin, la programmation de tout nouvel équipement doit être pensée dans un souci de mutualisation des programmes et de limitation des m² construits. Par exemple, les solutions de fonds mobiles permettent d'apporter un usage de faible profondeur pour l'apprentissage et les activités spécifiques sans ajout de bassin supplémentaire, tout en apportant un usage de couverture thermique en inoccupation. Le futur Centre Aquatique Olympique est ainsi innovant en matière de mutualisation des usages : le bassin fera 70 mètres de long et sera divisé en deux parties, avec un quai mobile au centre permettant un usage en format 50 m et un usage en format bassin de plongeon olympique tout en évitant la construction d'une plage séparative. A usage équivalent, la dimension du bâtiment a donc pu être réduite de plusieurs mètres.